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SOIS RACISTE MA FILLE

mardi 21 février 2012, par Sophie

Tombée par hasard sur un volume de la série Martine de 1954, le contenu effraye.


On connait toutes ces livres pour enfants dont les couvertures paraissent désuètes et archaïques pour ne pas dire réactionnaires. Mais rester au stade de la couverture ne prépare pas du tout à la lecture de l’un des premiers numéros : Martine en voyage.

 

 

Trouvé dans une pile de livres d’une bibliothèque partant pour le pilon, cet exemplaire est très usé, recollé et réparé de nombreuses fois, preuve qu’il a été lu par des milliers d’enfants en quête de lectures agréables et distrayantes.

 

 

Dès la première page on croit rêver. Martine est vraiment stupide. Elle ne sait rien faire, c’est-à-dire rien de ce qu’on attend d’elle : "ni lire, ni écrire, ni compter". Cette première ligne contient les tares de Martine, son refus de s’instruire l’embarquant dans une aventure dont elle sera la victime. Victime de son refus d’apprendre ce que toute petite fille se doit d’apprendre en 1954.
Martine n’est pas seule dans son enfer. Il y a "encore plus étourdie", Cacao son amie, qui est une poupée. A l’époque "Poupée" était aussi un terme dont les hommes affublaient les femmes. C’est l’époque Banania, Cacao est noire.

 

 

S’emmerdant à mourir dans leur univers coercitif, où on veut faire d’elles des poupées dociles et savantes, Martine et Cacao décident de fuguer.

 

 

Prétextant des courses à la ville voisine, elles font leur valise et disent au revoir à leurs amis les jouets.

 

 

Evidemment, en 1954, c’est Cacao qui porte la valise, un foulard sur la tête. Martine s’est habillée pour l’occasion et "on voit danser son ombrelle au-dessus de son chapeau de paille garni de cerises". Pensait-on sérieusement apprendre à lire aux petites filles avec des phrases pareilles ?
Ne pouvant pas lire les panneaux indicateurs, ne pouvant pas compter les croisements et routes, elles se perdent où ?

 

 

Comme Blanche-Neige avant elles, Martine et Cacao se perdent dans la forêt. Mais là où Blanche-Neige a trouvé un havre de paix loin de sa marâtre, Martine et Cacao trouvent pire que leur enfer domestique. Elles sont moquées par les oiseaux, les écureuils et lapins, qui sont pourtant, d’habitude, les plus sympas des animaux. Elles pleurent et veulent rentrer chez elles, on les comprend, on a peur pour elles au fond de la forêt. Pourrait passer un loup et on se referait le petit chaperon rouge.

 

 

Heureusement, elles tombent sur une lapine sympa qui les ramène chez elles. Elles sont accueillies par maman et tiens, c’est marrant, que des jouets masculins : le lapin, le soldat et l’ours en peluche. Terrorisées à l’idée de ce qui attend une petite fille lorsqu’elle quitte la maison sans savoir le minimum, elles apprendront leurs leçons et "prendront beaucoup de plaisir à lire les écriteaux". Pour Cacao, un seul impératif, réussir à dire son prénom.

On peut sourire, se demander à quoi bon revenir sur des livres qui sont partis au pilon, et donc, qui ne tomberont plus dans des mains innocentes, qu’à l’heure actuelle, on est tous armés pour lire à travers les lignes, d’ailleurs n’a t-on pas fait un procès à Hergé pour le racisme contenu dans Tintin et notamment Tintin au Congo ?

En lisant ces quelques pages, on se rend compte des images des petites filles et des femmes qui étaient véhiculées et quel rôle social on attendait d’elles en 1954. On peut mieux évaluer l’ampleur des luttes féministes, ce contre quoi elles s’élevaient, la dureté du combat qu’elles ont du mener, face à des idées et valeurs qui imprégnaient chaque strate de la société, jusque dans les livres pour enfants. Et les enfants qui ont lu ces livres, qu’on a nourri d’idées sexistes et racistes sont ceux qui nous ont fait l’école, ont été nos profs et sont aujourd’hui au pouvoir.

 

 


Toutes les couvertures de Martine


Merci à Sophie P !!!

5 messages
  • Et encore, l’effet ne s’est pas arrêté à la génération qui a eu la chance d’avoir en primeur ces bouquins... J’ai eu l’immense honneur d’avoir dans ma bibliothèque ce livre, sous prétexte qu’il appartenait à ma mère quand elle était petite. Et il a été réédité régulièrement jusqu’il n’y a pas si longtemps (2002), mais avec des mises à jour politiquement correctes (je ne sais pas exactement de quand elles datent, les couvertures ont très rapidement varié au fur et à mesure des rééditions) : Cacao s’appelle Annie et est devenue une vraie petite fille (en 1979 on n’y est pas encore !), Martine porte sa fichue valise -au moins en couverture-, et j’imagine qu’Annie doit connaitre son prénom...

    Ceci dit, ce qui m’a choqué dans ces albums (déjà à l’époque...), c’est le nombre de culottes dessinées, pour une vision très bien pensante de ce que doit être et faire une gamine... Alors d’accord, à une époque, les robes de fillettes étaient TRES courtes, m’enfin, en 1971, l’envoyer faire du vélo sur un biclou trop grand pour elle alors qu’elle ne sait pas se servir des freins, avec la pente fatale, c’est un peu un appel à la facilité...

  • Bonjour . Quel commentaire disproportionné. C’est hélas dans l’air du temps d’une société hypocrite qui aime faire le procès du passé sans doute pour mieux cacher son incapacité à améliorer le présent qui en aurait bien plus besoin avec cette montée de la violence qui elle est réellement effrayante. Pour rester dans la publication, comparez plutôt la majorité des bandes dessinées actuelles qui sont laides, sinistres, glauques et violentes. A côté de cela les albums de Martine respirent la fraîcheur. Évitons de laver plus blanc que blanc en oubliant de remettre les choses en perspective dans leur contexte. Le vrai racisme est hélas ailleurs. Il ne faut pas se tromper de combat, car si Monsieur Marlier, qui était la bonté même, est raciste, alors nous le sommes tous. Bien à vous en toute convivialité. Marc Willame.

    • Lutter contre les formes de racisme ne serait pas un combat à vos yeux ?

      Dans cette société que vous critiquez, comment pouvez-vous écarter le racisme ? N’avez-vous pas en mémoire, cette fille agitant au nez de Mme Taubira cette peau de banane ?
      C’est face à de tels agissements que tout citoyen qui se respecte se doit de s’indigner.
      Et que faites-vous des propos de Guerlain sur la communauté noire et son lamentable cliché ? Doit-on fermer les yeux au nom de son grand âge ?
      Rien ne justifie ces propos et attitudes abjectes.
      Il faut avoir le courage de reconnaître que le racisme est de plus en plus palpable aujourd’hui et le minimiser vous rend complice de cette parole.

    • Evidemment que je suis d’accord avec vous, Aminata... sauf que le vrai racisme qui existe hélas encore (comme je le disais), est bien plus grave que le relent gentiment surrané et paternaliste de l’univers de Martine en voyage. Il ne faut pas se tromper de combat ni d’époque : c’est sur les faits inacceptables d’aujourd’hui qu’il faut réagir et agir.
      Bien à vous.

    • Les faits inacceptables d’aujourd’hui sont façonnés par les idées d’hier, monsieur Willame. Il n y a pas de petit racisme et la virulence d’une idée n’est pas inversement proportionnelle à son ancienneté. Cracher sur la plupart des publications actuelles n’aide pas le combat, en plus d’être une généralisation.

      Ce n’est pas parce que Martine fait des sourires et se ballade avec des papillons que son univers est gentil, et quand bien même il ne s’agit pas de s’acharner sur un album vieux de plusieurs années, il convient de combattre certaines idées qu’il véhicule. Il est quand même question d’une petit fille noire qui est trop limitée pour retenir son prénom et qui porte la valise de la gentille Martine sur sa tête... (les poignées n’existaient pas à cette époque ?) Cet état de fait n’est ni gentillet ni marrant et reste une image tout à fait normal pour beaucoup de contemporains, ce qui en soi est inquiétant.

      Une question me turlupine, qu’entendez-vous par "vrai racisme ?" Et par "il ne faut pas se tromper de combat [...]" ?

      Je peux me tromper mais je pense que vous voulez-dire que les actes avec violence, les agressions et les insultes actuels sont plus graves qu’un vieux livre pour enfant. Si tel est le cas, je répète que les actes du présent sont façonnés par la perception d’hier. Alors non, ce n’est pas en lisant Martine qu’on va aller taper quelqu’un dans la rue, mais les propos tenus, les idées exprimées dans le livre contribuent au racisme d’hier et d’aujourd’hui.

      N.B : Ce n’est pas parce que Monsieur Marlier paraissait aussi doux et affable que le style de ses livres que ses idées l’étaient tout autant... juger sur l’apparence peut s’avérer trompeur.